« Le passage de la Mer Rouge »
(162×145 – technique mixte – 1992)
Katherine Théron
Les visiteurs s’entêtent à l’appeler « la crucifiée ». J’hésite même à écrire plutôt « la Crucifiée » avec un C majuscule. Sans doute est-ce en raison de ses deux bras ouverts à la hauteur des épaules. Sans doute aussi l’ébauche d’un poteau vertical en arrière-plan qui déclenche chez le spectateur la vision du symbole de la Croix du Christ, si prégnant depuis vingt siècles dans la culture occidentale chrétienne.
Ensuite vient l’étonnement: pourquoi une femme? Les spectateurs sentent que c’est alors une image qui n’entre pas, à juste titre, dans leur iconographie chrétienne habituelle. Le Christ est homme. D’ailleurs on ne crucifiait pas les femmes, on les lapidait. Cela allait plus vite et demandait moins d’investissement. La croix il fallait tailler le bois, assembler les morceaux, la planter et y clouer le lourd corps du criminel… Là, dans cette image, nous avons une femme, nue par surcroît, présentant sa féminité sans ostentation mais sans pruderie non plus, ses deux seins pointant dans la lumière et son triangle pubien plus dissimulé dans l’ombre.
Mais regardez bien, visiteurs! Cette femme n’est pas crucifiée. Elle n’a ni les poignets ni les pieds transpercés, cloués au bois. Ils sont libres de mouvement. Et même à y regarder de plus près, son bras gauche, légèrement plié, se décolle de ce qui pourrait paraître l’arrière-plan, la jambe droite ébauche un mouvement tout de grâce et son pied droit se soulève dans l’amorce d’un pas de danse. Sa tête penchée en avant n’est nullement un geste d’abandon et encore moins de mort. C’est juste un geste de prudence, contrôlé, pour savoir où elle va poser son pied.
Non décidément cette femme n’est pas une crucifiée, en aucune façon, mais une femme bien vivante, qui s’ouvre un passage en avant, écartant d’un geste décidé ce qui pourrait obstruer l’espace qu’elle doit franchir. Elle va de l’avant avec toute sa nudité féminine, non pas provocante mais juste dévoilée. Elle va de l’avant avec prudence, décision et confiance. C’est pourquoi j’ai intitulé ce tableau « Le passage de la Mer Rouge » (beaucoup plus tard, dans les années 2009, car au départ c’était simplement: « la femme en rouge »), un passage de libération, écartant des eaux qui pourraient l’engloutir, pour trouver son identité de femme dans les Rouges de la Vie, que certains verts, turquoises et violets viennent faire vibrer.
K.T avril 2017
exposition Forcalquier
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